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Arrêt sur image : Un haka au Parlement, un moyen original de protestation pour les Maoris

Cette image a fait le tour du monde. Le 14 novembre dernier, la députée maorie Hana-Rawhiti Maipi-Clarke a entamé, suivie de ses collègues, un puissant haka au Parlement de Nouvelle-Zélande durant les débats sur la révision du traité de Waitangi, texte fondateur du pays qui régit les relations entre le gouvernement néo-zélandais et les maoris. Retour sur cet évènement spectaculaire.


TVNZ

La députée maorie Hana-Rawhiti Maipi-Clarke a fait trembler le Parlement néo-zélandais en entamant un haka et en déchirant le projet de loi visant à redéfinir les relations entre les Maoris et les autres citoyens du pays.


 

Un haka d'anthologie au sein du Parlement



14 novembre dernier, Wellington, au Parlement de Nouvelle-Zélande. Les débats concernant la révision du traité de Waitangi s'achèvent. Le président de l'assemblée, Gerry Brownlee, invite les partis à détailler la position de leur groupe sur la proposition de loi. Successivement, un député de chaque formation se lève et exprime le positionnement de ses pairs. À ce moment, une jeune femme en tailleur noir se lève, présente brièvement la position de vote de ses compères en langue maorie, puis entame brusquement un haka endiablé devant ses collègues.


Cette jeune femme, qui est la députée du Parti maori Hana-Rawhiti Maipi-Clarke, plus jeune législatrice du pays depuis 1853, ne se lance pas dans n'importe quel haka. Il s'agit d'un Ka Mate haka, utilisé pour intimider ses adversaires et traditionnellement aperçu durant les matchs de rugby. La jeune députée saisit la feuille du projet de loi qui se trouve devant elle, la déchire et jette au sol ce qu'il en reste. Elle est ensuite rejointe par ses collègues du Parti maori, puis par une partie du public en tribune. En catastrophe, Gerry Brownlee annonce une suspension de séance et demande l'évacuation des tribunes, dénonçant une interruption "grossièrement désordonnée". Par la suite, la députée Maipi-Clarke à l'origine de l'incident est suspendue une journée par le président du Parlement.


Le traité de Waitangi, texte fondateur du pays, remis en cause


Mais pourquoi une telle colère des députés maoris ? Cela est dû à la proposition de loi soumise au vote par David Seymour, chef du petit parti libertarien ACT New Zeland et membre de la coalition de centre-droit au pouvoir, et qui vise à modifier l'interprétation du traité de Waitangi, considéré comme le texte fondateur de la Nouvelle-Zélande.


Ce traité, signé en 1840 par les colons britanniques et les Maoris, déjà présents sur le territoire avant l'arrivée des Européens, acte la souveraineté de la couronne britannique sur le pays, mais aussi l'égalité entre colons et maoris. Or, le traité, publié en deux versions, une anglaise et une maorie, est largement soumis à l'interprétation, car présentant des différences fondamentales entre les deux versions. De plus, une vingtaine d'années plus tard, une guerre éclatera entre Maoris et colons, largement remportée par ces derniers, ce qui décimera une grande partie de la population autochtone, qui perd à ce moment la majorité de ses terres.


Ce n'est qu'en 1975, et face à la colère de la population maorie devenue une minorité sur ses propres terres, qu'est créé le tribunal de Waitangi, qui vise à faire respecter le traité par le gouvernement, mais aussi à dédommager les Maoris, et à obliger la restitution de leurs terres, volées ou vendues de force durant la guerre coloniale. Des mesures en faveur des Maoris sont aussi mises en place, comme des sièges obligatoires pour les Maoris au Parlement et aux conseils généraux, mais aussi des quotas dans les universités. Des excuses officielles de la monarchie britannique seront même présentées en 1995 par la reine Elizabeth II.


Mais aujourd'hui, ce sont bien ces politiques de soutien à la population maorie qui sont dans le viseur de David Seymour et de son parti. Le ministre souhaite s'en tenir à l'interprétation du traité qui garantit l'égalité stricte entre les Néo-zélandais et les Maoris, donc en abandonnant la politique des quotas dans les universités et au Parlement. Cependant, cette proposition de loi est très peu soutenue, même au sein du gouvernement, et n'a donc que peu de chances d'aboutir.


Les Maoris, qui représentent aujourd'hui 17% de la population néo-zélandaise, et qui sont encore aujourd'hui les plus touchés par la pauvreté, le chômage et les risques d'incarcération, ont organisé des manifestations inédites dans le pays pour s'opposer à cette proposition de loi, vue comme un danger pour le maintien de leur culture, et avec le soutien d'une partie de la population. Des personnalités ont également exprimé leur opinion sur la situation en Nouvelle-Zélande. Ainsi, lors du match de rugby opposant la Nouvelle-Zélande à l'Italie le 23 novembre dernier, le demi de mêlée TJ Perenara a lancé ces quelques mots avant de mener le haka de son équipe :

« Toitū te tiriti o Waitangi » ("Rendez hommage au traité de Waitangi ! ")

Wikimedia Commons

Au centre, le demi de mêlée TJ Perenara menant les All Blacks pour le traditionnel haka contre l'Italie, ici en 2018.


 

Mais au fait, c'est quoi un haka ?


Revenons à l'intervention de la députée Maipi-Clarke au Parlement. Ce qui choque dans cette courte séquence, c'est l'utilisation d'une danse ancestrale telle que le haka dans un lieu aussi feutré qu'une Assemblée. Pourtant, c'est loin d'être la première fois qu'un haka est réalisé au sein de cette institution. Déjà l'année passée, la même députée avait fait parler d'elle en réalisant un  Ka Mate haka lors de son discours inaugural. L'occasion de revenir sur cette danse traditionnelle maorie, que nous avons surtout l'habitude d'observer sur les terrains de rugby.


Cette danse rituelle est pratiquée par les Maoris avant des évènements de grande ampleur. Si on la considère spontanément comme de nature belliqueuse, il existe des dizaines de formes de haka, bien que le Ka Mate haka, pratiqué par la députée sur cette vidéo, mais aussi par les All Blacks dans le monde du rugby, soit le plus répandu. Il ne faut pas non plus confondre le haka avec d'autres danses traditionnelles du Pacifique, comme le Cibi aux îles Fidji ou le Siva tau aux Samoa, que l'on peut également apercevoir dans le monde du rugby.


Ainsi, si cette danse est une coutume répandue dans la culture maorie, sa réalisation au sein d'un Parlement surprend, voire choque à l'étranger. Cela a permis à Hana-Rawhiti Maipi-Clarke de défendre la cause maorie, mais aussi de jeter un coup de projecteur sur la lutte de son peuple à une échelle mondiale. Elle n'est toutefois pas la seule parlementaire issue d'une population autochtone à avoir fait parler d'elle récemment. La sénatrice aborigène australienne Lidia Thorpe a été sanctionnée d'une motion de censure par ses pairs le mois dernier pour avoir interpellé le roi Charles III sur « le génocide commis contre notre peuple » lors de sa visite dans le pays en octobre dernier.

« Vous n’êtes pas notre roi, vous n’êtes pas souverain ! Rendez nous nos terres ! »

Wikimedia Commons

Tout comme sa collègue de Nouvelle-Zélande, la sénatrice australienne et aborigène Lidia Thorpe s'est illustrée en défendant son peuple en pleine séance du Parlement, en présence du monarque anglais Charles III.




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